La falaise de verre
Proximité spatiale et distance sociale autour des refuges
Résumé
Y a-t-il des inégalités sociales d’accès à la « moyenne montagne », celle des randonnées à la journée ou de quelques jours avec nuitées en tente ou en refuge ? Sont-elles si fortes que les randonneur·ses qui se croisent sur les chemins de montagne et qui se rencontrent dans et aux abords des refuges possèdent des profils sociaux extrêmement homogènes ? Ou bien la moyenne montagne oblige-t-elle à se côtoyer des personnes de milieux sociaux différents, aux approches et aux représentations de la montagne potentiellement antagoniques ? Et que se passe-t-il alors ? Pour répondre à ces questions, l’article s’appuie sur les résultats d’une enquête réalisée entre 2015 et 2017 principalement dans et autour de deux refuges, l’un pyrénéen et l’autre alpin, en mobilisant des méthodes mixtes (questionnaire, entretiens, observations, corpus documentaires). Les deux premières parties de l’article explorent les logiques de différenciation à l’œuvre dans l’espace social des usages récréatifs de la montagne observés, pour montrer comment elles articulent de manière complexe les goûts de la performance (« transpirer »), de la nature (« contempler ») et de la sociabilité (« partager »). La dernière partie montre comment les rapports de domination qui produisent cet espace social particulier se perçoivent au travers de tensions entre usager·es, dont les discours structurés par des oppositions entre « eux » et « nous » retraduisent dans la montagne des rapports sociaux de classes élaborés dans d’autres sphères sociales. L’analyse montre finalement que du fait de la domination d’un type de profil d’usager·es (appartenant aux fractions diplômées des classes favorisées) et d’un type distinctif d’usage de la montagne (mêlant ascèse sportive, ressourcement et sociabilité cultivée), la moyenne montagne est donc à la fois le lieu d’une opposition entre des usages socialement différenciés, et celui du maintien d’un usage légitime dominant qui tend à occulter les autres.